De la Corse à la Savoie

L’autonomie, la voie à suivre !

Le Mouvement Région Savoie, qui fêtera ses 50 ans d’existence l’an prochain, organisait ce 7 novembre un débat sur le thème « L’autonomie, la voie à suivre pour la Savoie » à l’occasion de son assemblée générale annuelle. Un accueil chaleureux à Menthonnex-sur-Borne, charmante petite commune de montagne près d’Annecy dont le maire, Guy Demolis, qui effectue son 4e mandat est un autonomiste convaincu et un précieux soutien pour le MRS.

 

Créé en 1972, le MRS accueillera l’Université d’été de la Fédération Régions & Peuples Solidaires dont il est l’un des membres fondateurs. Il est également membre du parti Alliance Libre Européenne (ALE) et s’inscrit dans une Europe des peuples. « Nous sommes un mouvement qui défend la démocratie et les valeurs humaines, mais qui gêne parce qu’il parle de notre peuple, qui a toujours existé et porte en lui l’histoire d’être indépendant » a dit son président Laurent Blondaz dans ses mots d’accueil. Le MRS souffre d’être injustement dénigré dans les médias et la vie publique. Il milite pour la création d’une Région Savoie : « La France est le pays le plus centralisé de l’Europe de l’Ouest avec un régime qui n’a rien de démocratique, le jacobinisme. En 1789 la Savoie n’était pas française. La première idée de la révolution était une fédération qui prenait en compte l’autonomie des territoires. Tout cela a été noyé par les jacobins qui ont pris le pouvoir en 1792. C’est à ce moment que la Savoie a été envahie et, de la révolution française, elle n’a connu que la terreur. On doit souvent déconstruire pour revenir à ces idées premières d’autonomie dans l’Europe. »

Plusieurs intervenants se sont succédés au micro : Jean Philippe Atzenhoffer, économiste, professeur à l’Université de Strasbourg, auteur du livre « Le Grand Est, une aberration économique », Gilles Maestre, maire d’Entremont de 1989 à 2014, Philippe de Rougemont, conseiller municipal de la ville de Genève, Chantal Certan, ancienne conseillère régionale, assesseur à l’Éducation de la région autonome de la Vallée d’Aoste, Carlo Perrin, ancien président du Val d’Aoste, David Grosclaude, journaliste, membre du partit occitan (POC), vice-président de l’Alliance Libre Européenne, et moi-même représentant la Corse, en tant que rédactrice en chef d’Arritti, assistante du député européen de R&PS, François Alfonsi, conseillère exécutive de 2015 à 2017.

Un public militant et attentif, mais aussi d’élus et d’associations (Génération Savoie, Institut de langue savoyarde…) reparti enthousiaste ! Objectif rempli donc pour ces échanges entre régions qui prônent l’autonomie de plein exercice et de plein droit pour bâtir l’avenir.

 

« La décentralisation et une vraie gestion locale, ça fonctionne bien » témoigne l’économiste alsacien Jean Philippe Atzenhoffer. Le sommaire de son livre suffit à expliquer les constats implacables du rendez-vous raté de la loi NOTRe pour une réorganisation plus rationnelle des collectivités en France. Schémas, citations, chiffres à l’appui, Jean Philippe Atzenhoffer démontre l’aberration du découpage régional, la création de régions artificielles sans référence à l’histoire et même au simple bon sens. Il dénonce  les arguties invoquées pour le justifier, tant au niveau économique qu’organisationnel, passant en revue les surcoûts conséquents que cela cause, et « le jacobinisme régional » qui en résulte de la part de ces structures nouvelles qui s’inventent une identité, à l’image de campagnes publicitaires à grand frais du type « la bière Grand Est » en lieu et place de « la bière d’Alsace », « le soleil se lève plus tôt chez nous », etc. Arritti conseille vivement la lecture de son livre.

Gilles Maistre, maire détonnant d’Entremont durant 25 ans témoigne de ce que peut faire un maire avec la simple volonté politique. « Le localisme est mon pêché mignon » dit-il. « Mon souci c’était mettre de l’écologie dans ma commune puisque je suis membre fondateur des Verts en 1984 en Haute-Savoie. Je suis également régionaliste et pour moi Région veut dire autonomie et démocratie. » Il dénonce « le mariage forcé » avec le village voisin qui a fait disparaître sa commune « contre la majorité absolue du corps électoral ». « La démocratie doit aller jusqu’au citoyen » dit-il encore, dénonçant les « petits despotes puisque la démocratie, même communale, en France fonctionne de manière totalement pyramidale », ce qui conduit au désintéressement et in fine à la « déliquescence » du corps social. Et de décrire les méthodes innovées dans sa commune pour combattre cette confiscation du pouvoir et inciter les habitants à s’investir. « Citoyens d’honneur tiré au sort » pour participer aux réunions du conseil municipal, commissions ouvertes, « référendum d’initiative citoyenne décisionnelle », « consultation nominative », « comité de pilotage » contrôlant les décisions du conseil, etc., il prône le régionalisme pour « une plus grande autonomie et responsabilité de chacune et de chacun à travers une citoyenneté renouvelée ».

 

Après ce grand coup de fraîcheur qui permet de se rendre compte que la démocratie participative n’est pas une utopie, Philippe de Rougemont, conseiller municipal de Genève détaille le fonctionnement démocratique des institutions suisses, ses différents niveaux communes, cantons, État fédéral, ont le mérite d’installer une démocratie participative efficace. Il est le petit-fils de Denis de Rougemont, écrivain suisse considéré comme l’un des grands penseurs initiateurs du fédéralisme global, c’est-à-dire au-delà des seules institutions. « Il y a deux mots très intéressants quand on parle de régionalisme, c’est la délégation et c’est la participation, en Suisse, dit-il, quatre fois par an on doit se prononcer sur des décisions municipales, cantonales ou fédérales qui sont contestées. » Il y a 26 cantons et 26 institutions cantonales en Suisse, chacun une loi sur l’administration des communes, et plus ou moins d’autonomie. L’« initiative citoyenne » permet de faire une proposition, avec, au travers d’un « comité référendaire », un « travail de création de coalition ponctuelle qui met les gens ensemble » avant de procéder à une « votation populaire ».  L’apprentissage de l’autonomie et de la démocratie réelle en somme ! Cette votation est calée sur l’agenda fédéral des votes qui se déroulent quatre fois par an sur les trois échelons. La représentation ensuite est proportionnelle aux suffrages, et les décisions par exemple à Genève se prennent à la majorité dans un collège de cinq personnes où le maire est un poste purement représentatif qui change chaque année. « La marge de manœuvre est en chacun d’entre nous, c’est notre inventivité, notre créativité, notre confiance en nous » dit encore Philippe de Rougemont pour expliquer la diversité des statuts de chaque commune. Celles-ci s’autofinancent et ne dépendent pas de la capitale du canton. Il y a donc plusieurs niveaux aussi de fiscalité, pourtant la pression fiscale est plus faible en Suisse qu’en France et cela permet de budgéter toutes les politiques, communales, cantonales ou de la Fédération. Chjìbba !

 

« En 1948, l’autonomie valdotaine est reconnue par la Constitution italienne. Jusqu’aux années 80, il y a une période de construction de notre autonomie », témoigne à son tour Chantal Certan. « L’autonomie a comme base l’identité, la culture d’un peuple, mais il y a aussi des lois et une partie nécessairement financière. Dans les années 80, la Vallée d’Aoste reçoit les 9/10e des impôts payés à Rome. C’est cette autonomie financière qui a permis de concrétiser les compétences de la Vallée d’Aoste mais notre autonomie aurait pu être encore plus évoluée » nuance Chantal Certan qui explique les restrictions mises dans certaines compétences. L’école par exemple, « la réforme n’est jamais allée jusqu’au bout » notamment pour ce qui est de la gestion des enseignants, déplore l’ancienne assesseure à l’Éducation. « Si la langue on ne la pratique pas et si elle n’a pas du sens pour les élèves, petit à petit on la perd. » En Vallée d’Aoste, le franco-provençal « n’est plus sur pied d’égalité » comme cela est inscrit au statut d’autonomie, c’est dire si l’autonomie reste un combat même après avoir été octroyée !

Les années 90 « ont été des années très florissantes » dit encore Chantal Certan. Mais dans les années 2000 une dérive « clientéliste » est constatée et il y a eu une période plus « participative », à travers des référendums populaires qui sont une de leurs prérogatives, pour protester contre les mauvais choix, notamment au niveau environnemental. « Il y a eu là une grande renaissance du concept de l’autonomie et de la démocratie », mais il faut œuvrer « dans le sillon d’une autonomie responsable ». C’est dire l’importance d’un parti autonomiste fort qui veille sur sa bonne application et pèse pour la faire évoluer favorablement. Autre impératif : « il faut connaître le territoire, pratiquer l’histoire, la culture, pour être autonome avant tout soit même. » La transmission de l’histoire est un des fondamentaux de la préservation et de l’évolution positive de l’autonomie.

Carlo Perrin complète d’ailleurs l’intervention avec le témoignage d’un historique du combat autonomiste valdotain. « Le sens de l’autonomie c’est avant tout de revendiquer une identité, une appartenance, des siècles d’histoire. La Vallée d’Aoste est une région intramontaine — dans les montagnes —­ avec une identité qui est beaucoup semblable à celle de la Savoie. C’est pourquoi la demande au moins d’une autonomie pour la Savoie a toutes les raisons historiques pour elle. »

« La pandémie a en quelques sortes démontré toutes les faiblesses de l’organisation mondiale » dit encore Carlo Perrin pour qui « nos espaces sont fondamentaux pour le futur. » « Bien sûr les dérèglements climatiques, mais il y a aussi un modèle économique qui n’est voué qu’au commerce qui est en train de créer des inégalités qui sont insupportables dans le monde. » « Sans la participation du peuple, sans sa prise de conscience » rien ne sera possible dit encore le leader valdotain. « Être autonome c’est être responsable », « l’autonomie c’est une conquête de chaque jour » prévient-il mettant en garde lui aussi contre « le clientélisme, les corruptions ». « Le fédéralisme c’est le modèle le meilleur » pour organiser la société conclue Carlo Perrin.

 

Pour David Grosclaude, le climat, la diversité culturelle et linguistique sont liés à la revendication d’autonomie. « On a tous des histoires différentes, et la façon dont on demande l’autonomie ou l’indépendance ne sera jamais uniforme. » Pourquoi on est autonomiste ? interroge-t-il, « parce que c’est efficace ! » et de dénoncer : « le système centraliste a tout fait pour créer des élus locaux qui n’attendent qu’une chose, c’est que le préfet leur dise quoi faire ! » La France telle qu’elle fonctionne crée de la déresponsabilisation. « Être autonomiste c’est aussi savoir quels sont les dégâts du centralisme. On n’a pas de classe politique régionale capable de se confronter à la classe politique de l’État central » déplore-t-il. « Notre autonomie, on la gagne aussi dans le médiatique » dit encore David Grosclaude qui dénonce les manipulations d’opinion et insiste : « pas d’écologie sans décentralisation ». Or, l’uniformisation, « le jacobinisme » existe jusque dans l’écologie politique « ça pose problème, il y a un biotope qui est important pour l’homme, c’est sa langue et sa culture ». « Ce que nous avons désigné avec nos langues et nos cultures ça doit survivre ! Dans les mots que nous transmettons à nos enfants, il y a des sens des concepts qui vont faire que demain on pensera le monde autrement. Et si on perd ça on perd notre capacité à être autonome. »

 

L’exemple corse fait rêver en Savoie, mais nos progrès, les avantages acquis ne doivent pas masquer le chemin qui reste à parcourir. Certes les victoires électorales sont là, mais la victoire politique n’est pas encore gagnée. Il faut « être autonome dans nos têtes » avant de se revendiquer autonomiste. Et agir comme des autonomistes, même sans l’autonomie, ce serait déjà remporter une grande partie de la victoire. La langue, avec la prise en main sur l’enseignement pour fabriquer les corsophones de demain (exemple de la filière Scola Corsa), la préservation de nos terres, de nos espaces agricoles, de notre nature, avec la maîtrise de l’urbanisme, l’application des plans que l’on s’est donné, comme le Padduc, le combat en justice pour imposer la légitimité des décisions de la Collectivité, l’autonomie énergétique à construire, le traitement des déchets et la généralisation du tri, il faut nécessairement être plus « directif ». L’autonomie nous manque pour détourner les entraves mises par l’administration française et les communes ou intercommunalités récalcitrantes, mais ne sommes-nous pas aussi un peu trop gestionnaires et prisonniers du moule de l’administration ? Ne faudrait-il pas imposer davantage une responsabilisation de chaque instant, des élus, des administrations, des habitants ? C’est d’abord ainsi que nous gagnerons le combat de l’autonomie de la Corse.

Détermination et solidarité sont des maîtres mots parce que nous avons le droit pour nous, il faut bâtir des alternatives collectives en responsabilisant militants et sympathisants, et au-delà le peuple. En Corse même, comme entre régions qui aspirent à l’autonomie. À travers nos partis, la Fédération R&PS, l’ALE, un travail est à développer sur nos problématiques communes, travailler à cette responsabilisation et cette implication citoyenne, c’est une condition de la réussite de nos aspirations. •

Fabiana Giovannini.